Réalisée par les agents de l'Office Français de la Biodiversité en 2022, cette vidéo explique la problématique de la divagation des chèvres sur Saint Barthélemy et la solution proposée par INE et ses patenaires.
I. Histoire des hommes et des chèvres à Saint Barth
Tout d’abord, un léger rappel sur l’histoire agraire de l’île de Saint Barthélémy. A l’époque précolombienne, les Antilles étaient peuplées par les indiens pacifiques Arawaks, venus en pirogue depuis le Venezuela, avant l’arrivée des Indiens Caraïbes qui les massacrèrent. Ces derniers nommaient l’île Ouanalao, mais ne s’y installèrent jamais, la considérant aride et inhospitalière. Christophe Colomb fut le premier Européen à aborder l’île, au cours de son deuxième voyage en 1493. Il l’a baptisera Saint Barthélémy, en l’honneur de Bartolomeo, son frère.
L’arrivée des premiers colons français, au milieu du 17ème siècle, entraine l’apparition des activités agricoles comme la culture du coton, de l’indigo, la récolte de sel, ou encore la pêche et l’élevage. On y trouve notamment l’élevage de chèvres (Capra hircus), originaires du Moyen Orient et importées depuis l’Europe pour leur robustesse et leur grande prolificité. http://www.voyager-st-barths.com/st-barthelemy-histoire-et-chronologie-complete/
La vie est rude pour les habitants de l’ile qui affrontent aléas climatiques, manque d’eau et instabilité politique. La moindre ressource, naturelle ou animale, y est conservée précieusement et l’île est alors quadrillée de murets en pierre, délimitant les parcelles de culture et les parcs d’élevage. (Référence Géoportail : Carte années 1950-1965 : https://www.geoportail.gouv.fr/carte)
Il faudra attendre les années 1950 et la venue de personnalités comme Remy de Haenen ou David Rockefeller pour observer un changement radical de l’économie de l’ile. L’agriculture et l’élevage, pénibles, chronophages et peu rentables sont petit à petit abandonnés et remplacés par les activités hôtelières et touristiques de haut standing jusqu’à nos jours, avec les deux conséquences majeures que l’on observe désormais sur notre environnement :
- Une très forte urbanisation entrainant une perte importante de zones naturelles et de biodiversité d’un côté, ainsi qu’une pollution importante des espaces terrestres et marins ;
- La prolifération des espèces exotiques envahissantes (EEE) ayant de forts impacts sur la faune et la flore indigène de l’île. C’est par exemple le cas des rats arrivés par les containers, des chats emmenés par les nouveaux habitants, ou encore des chèvres relâchées volontairement ou évadées suite à la destruction des parcs par les cyclones, notamment Luis en 1995 et Irma en 2017.
Ces deux problématiques sont indépendantes et doivent être traitées toutes les deux. La première étant hors de portée d’action de l’association INE, celle-ci met l’accent sur la régulation de ces EEE. https://www.ofb.gouv.fr/les-especes-exotiques-envahissantes
II. Statut des chèvres et impacts de leur divagation en 2022
En l’absence de prédateurs naturels et bénéficiant d’un taux de reproduction important (deux portées par an par chèvre, deux à quatre petits par portée, chevrettes matures au bout de 5 mois), les chèvres ont proliféré rapidement, jusqu’à atteindre environ 3 000 têtes en 2016, a estimé la Wildlife Conservation Society. Les chèvres étant considérées comme animaux domestiques, elle doivent être déclarées, identifiées et tracées. Des papiers d'élevage et un suivi vétérinaire sont également obligatoires. Sans cela, la chèvre est considérée comme "sauvage" et l’article 921-2 du Code de l’Environnement de Saint Barthélémy la classe alors comme « nuisible » et en autorise la chasse ou la capture. L’Union International pour la Conservation de la Nature (UICN) l’intègre aussi dans sa liste des 100 espèces envahissantes les plus nuisibles du monde. http://stbarthessentiel.fr/wp-content/uploads/2018/03/RAPPORT-WCS-ETAT-DES-LIEUX.compressed.pdf (page 78) https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F34922 https://gds19.org/Docs/PDF/OVCAP/obligation_reg_ov_cap.pdf https://fr.wikipedia.org/wiki/Cent_esp%C3%A8ces_envahissantes_parmi_les_plus_nuisibles_du_monde
En effet malgré l’aspect attendrissant de nos cabris divagants, leur surpopulation croissante et le surpâturage qui en découle génèrent une dégradation profonde des milieux naturels :
- Destruction de la végétation arbustive : consommant en moyenne 10 kg de fourrage vert par jour, les chèvres dévorent tout ce qui est accessible depuis le sol jusqu’à 1m50, taille qu’elles atteignent en se mettant sur leurs pattes arrière contre les troncs. - Disparition d’espèces protégées devenues parfois rares (cactus, broméliacées, orchidées). - Destruction du tapis herbacé : les herbes et les jeunes arbres sont dévorés, empêchant le renouvellement des forêts et laissant le sol à nu. - Dégradation des habitats d’espèces animales comme l’Iguane des Petites Antilles (Iguana delicatissima) ou la couleuvre du banc d’Anguilla (Alsophis rijgermsaei) protégées et classées « en danger critique d’extinction » par l’UICN. - Augmentation de l’érosion des sols et du ravinement dans la mer lors de forte pluies, entrainant l’obstruction du milieu marin et impactant la vie récifale en dessous.
Sur Saint Barthélémy, l’ATE a mandaté l’association INE pour réguler ces chèvres en les capturant à l’aide de filets. Depuis 2017, près de deux mille chèvres ont été capturées mais leur nombre est encore trop important dans de nombreuses zones naturelles. La problématique de leur divagation est bien identifiée depuis plusieurs années par les autorités compétentes : Collectivité de Saint Barthélémy, Agence Territoriale de l’Environnement (ATE), la Direction de l’Alimentation de l’Agriculture et de la Forêt (DAAF). https://www.journaldesaintbarth.com/actualites/environnement/cabris-cest-fini-201811221934.html
C’est notamment grâce aux appels à projet obtenus de l’OFB et de l’Europe en 2021 que l’association INE a pu de nouveau réunir tous ces acteurs afin de proposer une solution pour réguler efficacement les chèvres et valoriser en local cette ressource.
III. Création d’une coopérative d’éleveur et d’une filière de transformation, impliquant les institutions locales
Aux Antilles, la consommation de la viande de chèvre est traditionnelle et des plats comme le colombo ou le ragout font partie intégrante du patrimoine culinaire créole. Sur Saint Barthélémy, l’élevage reste encore informel, l’abatage est amateur et la consommation se fait dans un cadre restreint.
La première étape du projet est donc la création d’une coopérative d’élevage permettant la consommation et commercialisation officielle de produits carnés au grand public. Pour cela, l’association INE a obtenu le statut d’éleveur auprès de la chambre d’agriculture de Guadeloupe et souhaite encourager les possédants de troupeaux de l’île à en faire de même. L’association se propose d’accompagner ces personnes dans les formalités administratives et opérationnelles.
Pour cela, une étude scientifique de la consommation des chèvres ainsi qu’un suivi photo sont menés avec l’ATE dans les enclos de l’association. Outre la possibilité de commander du matériel et de l’aliment en commun à moindre coût, les membres de cette coopérative pourront bénéficier de l’utilisation du container d’abatage que la Collectivité a acquis en mai 2022, et qui répond aux normes européennes d’abatage et de conservation de la viande. Le projet inclus la formation de plusieurs personnes au métier de boucher professionnel. Les bêtes ainsi capturées ou élevées seront examinées (prophylaxie sanitaire) par les services vétérinaires de la DAAF afin d’être jugée apte à la consommation humaine. Le grand public et les restaurateurs pourront ainsi s’approvisionner officiellement en viande biologique, locale, bénéficiant d’une traçabilité, et respectant les normes de bien-être animal pendant l’abatage et la manutention.
Un grand enclos et une chèvrerie sont en cours de construction sur l’île. Ils permettront d’une part de mettre en quarantaine les chèvres capturées jusqu’à la visite sanitaire, et d’autre part à sélectionner des chèvres ayant un bon profil afin de mettre en place une unité expérimentale de production de lait puis idéalement de fromage de chèvre made in St Barth. Il est également prévu de valoriser les déchets verts des jardiniers et services techniques de la Collectivité afin de nourrir ces chèvres, bien qu’un complément alimentaire sous forme de granulés soit importé depuis la Guadeloupe. L’autre partie du projet consiste à restaurer les habitats endommagés :
- Reboiser les zones abîmées qui auront été débarrassées des chèvres comme c’est le cas sur l’ilet Fourchue ou la pointe de Petit Cul de Sac. Pour cela, des arbres d’essences indigènes issus de la pépinière de l’ATE et d’INE sont et seront replantés. Ces actions sont envisagées en partenariat avec les écoles de l’île. - Redynamiser la vie récifale des zones sous-marines abîmées en construisant des récifs coralliens artificiels et en installant des dispositifs de réduction de l’érosion. La méthode Biorock est utilisée, afin de restaurer des récifs particulièrement endommagés, dans des zones sujet a un fort stress du milieu.
IV. Conclusion
L’objectif de notre projet est donc de proposer une filière innovante et inclusive permettant de valoriser l’une des rares ressources dont l’île dispose. Cela permettrait de réduire les importations de viande, d’augmenter la biodiversité et la résilience de l’île face aux changements climatiques. L’objet du projet est que cette chèvre reprenne sa place d’espèce domestique, élevée pour les services qu’elle rend à l’homme (viande, lait, entretien végétation, plaisir etc.) mais dans des conditions respectueuses de l’animal et des milieux naturels, donc en enclos. Les chèvres deviendraient alors non plus un ennemi, mais un allié de la biodiversité et un outil pédagogique de sensibilisation à l’environnement.